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La loi de réparation nationale du 30 juillet 1881 : source de l'histoire de la répression de l'insurrection de décembre 1851

par Denise DEVOS

 

Texte intégral

La sous-série F15 des Archives nationales renferme un groupe de 259 articles cotés F15 3964 à 4223 classés sous le titre : Indemnités aux victimes du coup d'état du 2 décembre 1851 et de la loi de sûreté générale du 27 février 1858.

Ces indemnités résultent de la loi du 30 juillet 1881, dite de réparation nationale, qui allouait une pension ou rente viagère aux citoyens français victimes du coup d'état du 2 décembre 1851 et de la loi de sûreté générale du 27 février 1858. Si les intéressés étaient décédés, les veuves non remariées, les ascendants ou descendants au 1er degré pouvaient obtenir une pension. Les prétendants à l'indemnité devaient adresser leur demande avec renseignements et pièces à l'appui au Préfet du département où ils résidaient quand ils ont été frappés ou atteints. Une notice était ensuite établie par le Sous-préfet de l'arrondissement du domicile, souvent d'après les renseignements fournis par le maire de la commune. Elle comprenait les éléments suivants : état-civil, profession, nature des condamnations et mesures politiques, durée et conséquences de celles-ci, ressources et conduite politique actuelles du pétitionnaire.

Les dossiers ainsi constitués étaient centralisés à la Préfecture et soumis à l'examen d'une Commission composée du Préfet, de trois membres du Conseil général désignés par le Préfet et de trois délégués élus par les victimes. La Commission départementale après délibération dressait un état des demandes admises et proposait le chiffre de la pension à allouer. Les dossiers étaient ensuite soumis à l'examen d'une Commission générale siégeant à Paris qui statuait en dernier ressort. Cette Commission générale était présidée par le Ministre de l'Intérieur et comprenait huit parlementaires, tous d'anciennes victimes : 4 sénateurs (Victor Hugo, Jean-Baptiste Massé, Elzéar Pin, Victor Schœlcher), 4 députés (Louis Greppo, Noël Madier de Montjau. Martin Nadaud et Alexandre Dethou). Deux conseillers d'Etat, un conseiller à la Cour des comptes et quatre hauts fonctionnaires représentaient les Ministères de l'Intérieur (Direction de la Sûreté générale. Direction de l'Administration départementale et communale), de la Justice et des Finances. Au décès du crédirentier, la moitié de la pension obtenue était réversible sur la veuve et sur les descendants au premier degré.

Le nombre des demandes formulées fut d'environ 25 000. Elles sont actuellement réparties en pensions accordées, annulées, reversées, demandes rejetées, demandes dites tardives, c'est-à-dire introduites après le délai fixé par la loi complémentaire du 20 décembre 1881. Trois systèmes de classement ont été utilisés pour ces cinq catégories de dossiers. L'inventaire en cours se présentera sous la forme d'un fichier, par département, comprenant dans l'ordre alphabétique des noms :

1°) les pensions accordées, annulées et reversées, 2°) une sélection des demandes rejetées, 3°) une sélection des demandes tardives.

Chaque fiche comporte les nom et prénoms de la victime, dans la mesure où ils sont connus : les dates et lieux de naissance et de décès, la profession et le domicile en 1851 (ou à la date du fait invoqué, quand les demandes n'entrent pas dans le cadre fixé par la loi), enfin, les noms des ayants droit indemnisés ou des prétendants à l'indemnité.

On peut puiser dans ces dossier des éléments qui intéressent l'histoire de la Seconde République : insurgés de juin 1848, sociétés secrètes, révocations, affaires électorales diverses, mouvements insurrectionnels locaux, complots des années proches du coup d'État…

Les récits sur les événements de décembre 1851 sont peu nombreux et partiels ; ils proviennent des demandes rejetées ou tardives. Cependant, la mémoire des victimes restitue les conditions climatiques des journées de décembre, les groupes d'individus partis ensemble, les lieux de rassemblement, les itinéraires suivis, les lieux des combats, les blessés, les tués, les fusillés, les arrestations en pleine action, les circonstances de la dispersion. Les motivations sont sommaires et souvent repensées à la lumière des mesures de répression qui suivirent le coup d'État.

Les suites des événements de décembre sont largement développées. L'apport principal du fonds réside dans l'histoire de la répression de 1852. Toute la trame du devenir des victimes des commissions mixtes, comme des clandestins et des fuyards, nous est livrée. Lieux et conditions de la détention immédiate, séjour sur les pontons, peines de transportation réellement subies avec à l'appui les livrets de transportés, conditions et durée de la transportation à Cayenne ou en Algérie, lettres de transportés, décès à Cayenne ou en Algérie avec indication des maladies ayant entraîné la mort, évasions, retour au pays, fixation immédiate ou après coup en Algérie, émigration en raison de la perte d'un négoce ou d'un artisanat, aventures diverses quelquefois réussies, mais le plus souvent des séquelles physiques et un appauvrissement des ressources. Dans le cas des internés et surveillés, le lieu du domicile dans ou hors du département est indiqué et sont énumérées les cœrcitions diverses ayant entraîné la ruine des artisans et des professions libérales. II en est de même pour les expulsés hors du département et pour les expulsés de France. Les dossiers permettent de distinguer les contumaces, les exilés volontaires immédiats qui n'apparaissent pas dans les commissions mixtes s'ils n'ont pas été dénoncés, et les exilés volontaires après les résultats des travaux des commissions. Les pays d'exil sont le plus souvent, en premier temps : Belgique, Angleterre, Suisse, Italie, Espagne et Portugal ; en deuxième temps : Jersey, Irlande, Hollande, Luxembourg, États-Unis, Mexique, Argentine, Porto-Rico, Australie, etc. Les fuyards et les clandestins qui sont restés quelque temps chez des sympathisants ou dans la forêt forment le lot des pensionnés à 100 francs. Cette répression officieuse que tous les historiens du coup d'État ont pressentie nous est révélée ici. Son étude pourrait peut-être apporter des correctifs à la statistique officielle de la répression de BB30* 24.

Enfin, la réparation elle-même reflète un certain état d'esprit de la TroisièmeRépublique naissante qui n'a voulu voir qu'une certaine image de l'insurgé de 1851. D'où la grande importance donnée à la preuve des sentiments républicains de la victime ou des familles et différentes sortes de rejets. L'indignité est déclarée quand il y a un casier judiciaire. Si l'école est privilégiée à travers les vieux instituteurs ou les fils d'instituteurs, les enfants des victimes s'ils sont religieux ou ecclésiastiques perdent leur droit à l'indemnité. D'autre part, les exilés demeurés dans leur pays de refuge. propagateurs possibles de l'idée républicaine, accèdent au bénéfice de la loi, sauf s'ils ont abandonné la nationalité française. Dans ce cas, ils sont assimilés aux étrangers victimes de la répression qui, même transportés, ne sont pas reconnus comme telles.

Les décisions d'attribution de pension permettent d'étudier le rôle des autorités nouvellement mises en place. Préfets. Sous-préfets et maires, dont certains sont d'anciens proscrits ou ont été victimes de la crise du 16 mai 1877 ainsi que le jeu des influences parlementaires et parfois de la solidarité franc-maçonnique.

Les pensions des ayants droit et les réversions font découvrir, outre la date et le lieu du décès de la victime, l'identité du conjoint et les parentés par alliance, assez fréquentes, entre les inculpés, l'état-civil des descendants au premier degré et leur profession, l'évolution du niveau social de la famille, le degré d'instruction, etc. Comme les ascendants des victimes nous sont connus par les pièces d'état-civil du dossier principal, trois générations sont ainsi présentes dans les documents. Leur étude permettrait sans doute de réaliser une vaste enquête sociologique allant de la deuxième moitié du XVIIIe siècle à la Troisième République.


Pour citer cet article:

Denise Devos, «La loi de réparation nationale du 30 juillet 1881 : source de l'histoire de la répression de l'insurrection de décembre 1851», Revue d'histoire du XIXe siècle, 1985-01, Varia , [En ligne], mis en ligne le 28 octobre 2002. URL : http://rh19.revues.org/document3.html.

 

 

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